Quantum Break

Dans sa critique de Quantum Break, Kotaku conclut « A game has simply never worked like this before, nor has a TV show.» Je partage totalement cet avis, seulement je n’en tire pas les mêmes conclusions. Certes on a jamais vu un jeu ou une série construit comme ça, mais on espère vraiment que cela ne se reproduira plus.

Quantum Break, c’est une dispute sans fin. C’est papa et maman qui passent leur temps à se jeter leurs différences à la gueule, à tel point qu’on finit par se demander qui a eu l’idée de les mettre ensemble au départ. Et bien croyez-le ou non, les responsables de ce gâchis sont plutôt des gens d’ordinaire talentueux. Remedy Entertainement ne sont rien de moins que les papas de Max Payne et Alan Wake. En matière de narration et de gameplay, le studio se pose là. On aurait donc pu attendre qu’avec un objectif aussi ambitieux que le mélange du jeu vidéo et de la série télévisée, ils posent un nouveau standard propre à inspirer le reste de l’industrie. Malheureusement pour cela il aurait fallu se poser quelques questions essentielles au préalable, comme par exemple: « quelles sont les spécificités de chaque médium? », ou « dans quel but cherche-t’on à les mélanger ». Manifestement, le postulat de base a plutôt été: « les jeux vidéo c’est trop bien, les séries télévisées aussi, on va mélanger et ça va être deux fois plus bien ». Messieurs de Remedy si ce raisonnement fonctionne avec les maths, je suis au désespoir de vous apprendre que ce n’est pas vraiment le cas avec les oeuvres de l’esprit.

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Vous avez très certainement déjà entendu parler de la dissonance ludo-narrative. Au coeur des débats depuis plusieurs années dans le jeu vidéo, ce terme désigne les jeux dont le gameplay et la narration ne sont pas en adéquation. Cette notion basique de game design ne semble pas avoir fait son chemin jusqu’en SuèdeRemedy avait piscine ce jour-là.

Premièrement, le rythme. Dans les jeux à forte vocation narrative, il est essentiel que le gameplay suive le rythme de l’histoire. Dans la série Uncharted par exemple, le gameplay est épuré (les phases d’escalade tant décriées en sont un bon exemple) et nerveux pour suivre la cadence haletante de l’histoire. Le joueur est ainsi embarqué dans un tourbillon d’action entretenu tant par la narration que le gameplay. Chez Remedy, on s’est dit qu’il est beaucoup plus intéressant de mettre narrativement le joueur en situation de pression tout en l’incitant à rester sur place. On se retrouve donc régulièrement dans des scènes surréalistes où l’on navigue entre des bureaux pour lire des documents longs comme le bras au milieu d’un concerto d’alarmes annonçant la fin du monde. Evidemment on a la liberté d’ignorer totalement ces textes, même si leur omniprésence dans chaque scène laisse penser qu’ils sont un des piliers de la narration du titre. Ce que l’on ne peut par contre pas ignorer, c’est la recherche des points de compétences. Dissimulés dans les décors, ils nécessitent de fouiller un minimum chaque scène pour ne pas se retrouver sous-qualifié en fin de jeu. On subit donc de glorieux moment « 90’s » où l’on escalade tranquillement des montagnes de caisses pour dénicher un upgrade récalcitrant pendant qu’un PNJ s’époumone à propos d’un danger imminent qui ne se déclenchera de toute façon pas avant qu’on ait franchi la porte.QuantumBreak_Chronon

Cette schizophrénie permanente se retrouve également dans la cohérence du gameplay. Pour de mystérieuses raisons, Quantum Break s’amuse à changer ses règles en permanences. Parfois de manière anodine, d’autres de façon beaucoup plus profonde. On remarque par exemple rapidement que le bouton pour sauter/franchir les obstacles change régulièrement selon s’il est employé avant une cinématique ou au sein d’une phase de gameplay. Idiot mais pas très grave, contrairement à la capricieuse mécanique de retour dans le temps. Pour les besoins de plusieurs phases de puzzle, le joueur doit maintenir le bouton Y devant certains éléments de décor pour les faire retourner à leur état initial (entendez par là : avant leur destruction). Seulement, les règles de rembobinage changent à l’envie. Parfois Jack peut remonter le temps en se tenant sur l’élément en question, parfois non. Seul un petit signe d’interdiction nous en avertit sans jamais nous donner ne serait-ce qu’un début d’explication. Une absurdité qui culmine dans les phases de jeu nous faisant parcourir la même temporalité à deux reprises. Ces passages, séparés de plusieurs heures de jeu, voient donc le joueur revenir considérablement plus puissant lors de son deuxième passage. Devant les conséquences évidentes de ce retour dans le temps sur la courbe de difficulté, Remedy n’hésite pas à peupler le niveau d’ennemis armés jusqu’aux dents complètement absent de la séquence d’origine. Une solution d’une pauvreté affligeante qui non contente de détruire tout cohérence narrative déçoit le seul espoir de voir Quantum Break user de sa thématique narrative dans son gameplay en obligeant par exemple le joueur à composer avec ses actions initiales.

Vous l’aurez compris, Quantum Break à l’image de sa thématique est un monstre difforme ayant le plus souvent ni queue ni tête. Pourtant, si l’on décide de cesser tout processus réflexif pour l’apprécier tel un épisode Top Chef, l’expérience ne se révèle pas fondamentalement désagréable. Le système de combat dynamique est plutôt bien pensé, les acteurs font un job tout à fait acceptable et le tout a le bon goût de ne pas s’étaler sur un trop grand nombre d’heures. De quoi se laisser porter doucement jusqu’à la fin sans déplaisir. Un constat peu étonnant pour un blockbuster de 2016 mais qui n’en reste pas moins terriblement décevant pour un jeu Remedy Entertainement.