J’adore Smash Bros, je déteste Smash Bros. J’aime le voir jouer, je déteste y jouer. J’aime son game design atypique, j’ai envie de taper des gens quand j’y joue. J’aime sa générosité, je déteste son manque d’efficacité. Smash me fâche avec moi même: je déteste ça. Aujourd’hui je pense enfin avoir trouvé un reproche cohérent à lui formuler, malgré tout l’amour que je lui porte.
D’un point de vue game design Super Smash Bros est le fils étrange de papa Final Fight et maman Street Fighter. Niveaux très grands, objets et maniabilité tranquillou de papa. Exigence de lecture de l’adversaire, niveaux aux frontières délimitées et coups spéciaux de maman. Le petit s’est construit un peu entre les deux, tout en se faisant pousser des spécificités à coup de conditions de victoires originales. Une filiation qui explique surement son déchirement éternel entre bonne rigolade sur canapé et compétition féroce. Cela lui permet de viser un public large mais lui colle quelques contradictions agaçantes, comme ses forts étranges contrôles.
Dans un jeu aux niveaux si massifs, il est important que le joueur se déplace rapidement. Si pour aller mettre une patate à Mario les personnages traversaient le Temple de Zelda à la vitesse de Ryu et Ken, le gameplay serait une tannée. Assez judicieusement HAL Laboratory a pris le parti de déclencher un dash suivi d’une course rapide en inclinant le stick rapidement vers la gauche ou la droite. Seulement arrivé à la hauteur du plombier les choses se compliquent. Certes la caméra zoom à une proximité bienvenue pour se mettre des tatannes précises mais les contrôles n’ont eux pas changés: la majorité de la course de mon joystick engendre toujours une course voir un dash si je suis maladroit. Entre joueurs inexpérimentés se déclenche donc une danse fort hasardeuse ou se mettre une droite s’apparente plus à un jeu Wario Ware pervers qu’une lecture méticuleuse de son adversaire. En soit on pourrait trouver cela totalement en adéquation avec sa vocation de party game, seulement le contrôle du personnage ne fait pas vraiment partie des éléments de jeu ou le hasard peut être injecté à la légère.
On dit souvent que dans un jeu vidéo les contrôles peuvent faire ou défaire les grands jeux: une imprécision à ce niveau là peut rapidement mettre une énorme distance entre le joueur et son avatar (demandez à Street Fighter premier du nom qui regarde depuis 30 ans son petit frère depuis le caniveau de l’histoire vidéoludique). Une sensation que Smash cultive à outrance lors de ses premières heures de jeu, car non seulement les déplacements mal maîtrisés sont trop rapide pour le combat rapproché mais les coups smash ont une portée souvent ridicule, rendant l’idée d’en porter un de façon volontaire au rang de voeux pieux. Le nouveau joueur se rabat donc sur le bouton de coup spécial proposant des attaques souvent à la portée bien plus longue. Qui n’a pas assisté à ces danses infinies ou deux bras cassés avec des personnages à plus de 150% tentent de s’éjecter en balançant des coups spéciaux au petit bonheur la chance, là ou une « smash attack » bien placée aurait réglé le problème 50% en amont. Heureusement que la panoplie timer, objets et autres invocations vient souvent terminer le travail à la place du joueur, sinon le ridicule de la situation risquerait d’engloutir toute la bonne volonté des participants.
Bien sûr les esprits chagrins ne manqueront pas de rappeler que Masahiro Sakurai, directeur de la franchise, souhaite avant tout faire de Smash Bros un party game dopé au hasard pour amuser tout un chacun. Malheureusement, malgré ses intentions, les mécaniques de sa série crient leur envie d’être un jeu diablement compétitif et exigeant. Il suffit de voir les joueurs de haut vol évoluer dans les niveaux avec une précision chirurgicale pour comprendre qu’avec un peu d’effort les reproches formulés dans les paragraphes précédents deviennent rapidement un mauvais souvenir. Seulement à cause de cette communication ambivalente, je me laisse à chaque nouvel épisode berner par une promesse de party game accessible qui se transforme rapidement en calvaire. Perverti par mon oeil de game designer, je ne peux me laisser aller à une pratique légère, tant je perçois derrière mon incompétence crasse toutes les finesses promises par le système de jeu. Une pathologie qui me harcèle maintenant depuis vingt ans dont je suis heureux d’avoir aujourd’hui pu ôter le masque pervers.