Watch Dogs

Vous vous doutez bien que je ne vais pas me pencher sur le mastodonte d’Ubi Soft pour répéter qu’il n’est pas à la hauteur de sa bande-annonce de l’E3 2012. Premièrement, parce que ce n’est pas plus surprenant que ça pour un observateur régulier de cette messe à la gloire du Dieu Buzz. Deuxièmement car ce qui étonne réellement une fois la bête entre les mains, c’est à quel point son envie obsessionnelle d’être à la hauteur de cette annonce a fini par lui faire complètement manquer son objectif initial: mener la grande révolution du monde ouvert.

Un monde de gameplays
Watch Dogs, comme beaucoup d’autres, a empilé les promesses: contrôle sur le monde inédit, multijoueur intégré dans le solo, graphismes jamais vus, missions annexes dynamiques, usage de la tablette et j’en passe. Et contrairement à d’autres, qualité graphique à part, le joueur est bien forcé d’admettre que toutes ces promesses sont bien présentes dans le produit final. La collection de gameplays offerte est vaste: infiltration, action débridée, course, recherche, enquête ou encore espionnage. Si la plupart se contentent d’être implémentés avec talent, d’autres se permettent de réelles innovations comme le piratage et ses possibilités inédites. On sent dans cette généreuse palette toute la maîtrise d’un Ubi Soft partageant avec talent les connaissances entre ses nombreux studios. Peu de développeurs peuvent se targuer aujourd’hui de tenir tête à la société française lorsqu’il s’agit de proposer un large éventail de mécaniques sans en laisser la moitié à côté. Si ce savoir-faire impose le respect, après des années d’Assassin’s Creed il s’est établi comme un standard. Et c’est là tout le malheur de ce Watch Dogs, car contrairement à son prestigieux grand frère assassin, il n’a pas grand-chose d’autre à proposer.

watch dogs interface

Un monde sans surprises
Au fil de mes heures passés à Chicago, un rythme étrange s’est mis en place. L’enthousiasme s’est emparé de moi lors des missions pour s’écrouler lamentablement une fois ma liberté regagnée. Comme ces satanées notes à contre-temps dans les jeux de rythme, Watch Dogs semble fonctionner à l’envers. Après Infamous Second Son et son level design hypnotisant, la ville d’Aiden fait office de douche froide et ce pour plusieurs raisons. La première est la segmentation obsessionnelle des phases de jeu: la quasi-totalité des activités annexes est compartimentée, limitée clairement à une zone spécifique.  Impossible donc, à l’image d’Infamous, qu’une patrouille aléatoire d’ennemis vienne interrompre ou gêner une mission. Watch Dogs empêtré dans sa rigidité ne peut provoquer la joyeuse collision des systèmes propres aux mondes ouverts. Des collisions pourtant précieuses ou le joueur jouit à la fois d’une narration émergente et d’un renouvellement du gameplay permanant. Dans Watch Dogs, même le multijoueur singeant Dark Souls est trop clairement délimité. Truffé de timers et d’indicateurs, toute la spontanéité générée habituellement par ce genre de situation y est proscrite.
On pourrait rétorquer qu’au vu du sujet abordé par le jeu, l’omniscience et le contrôle sont indispensables. Seulement voilà, cela devient extrêmement problématique lorsque cette thématique vient entraver le plaisir de jeu. En permettant au joueur d’incarner un personnage possédant un contrôle total sur la ville, tout le plaisir d’exploration et le vertige d’être dans un monde qui nous dépasse s’évanouissent. Le joueur, projeté en maître absolu de cet univers, perd inévitablement tout attrait pour ces promenades sans surprises et se réfugie dans les missions plus à même de réveiller son intérêt.

mission complete

Le menu le plus cher du monde
Contrairement à ce qu’on a pu entendre ici ou là, Watch Dogs n’est pas une catastrophe mais il n’appartient qu’en apparence au genre du monde ouvert. A l’image de Burnout Paradise où le monde n’était qu’une interface permettant d’accéder aux courses, Watch Dogs est une compilation de gameplays plutôt réussie, emballée dans un luxueux mais fastidieux menu. Au vu de la maîtrise habituelle dont fait preuve Ubi Soft lorsqu’il s’agit de créer des mondes ouverts consistants, cela ne peut provenir d’un manque de savoir faire. Je pense plutôt que Watch Dogs, en laissant son thème engloutir son système de jeu, est un des exemples les plus stupéfiants de cannibalisme vidéoludique.