The Beginner’s Guide

Le papa de Stanley Parable a lâché son nouveau jeu dans l’internet pas plus tard qu’hier. Ce dernier va certainement souffrir de la comparaison avec son aîné. En effet, dans leur forme les deux rejetons restent des ovnis marqués profondément par l’adn de leur géniteur, mais dans leur fond, ils se situent aux antipodes. Pourquoi, comment, on répond aux questions, sans rien vous gâcher du plaisir de la découverte.


Après avoir terminé The Beginner’s Guide, je me suis allumé une clope et j’ai fixé un horizon nocturne l’esprit en totale ébullition. L’envie d’en parler, d’écrire à son sujet bouillonnait en moi. Non pas que j’avais beaucoup de choses à dire, mais plutôt que je n’avais aucune idée de comment l’aborder. La tentation de le comparer avec Stanley Parable me paraissait inappropriée, je voulais la résister, pensant qu’une approche contraire serait plus noble, plus juste. Mais après une nuit qui a porté conseil, je me suis rendu compte que cette intention ne faisait malheureusement aucun sens.

Difficile de ne pas vouloir comparer, mais la faute à qui?

Difficile de ne pas vouloir comparer, mais la faute à qui?

The Beginner’s Guide a été annoncé seulement 3 jours avant sa date de sortie. Dans une industrie du jeu vidéo hyper saturée, ce genre de pratique n’est pas recommandée. Pour qu’on parle de votre jeu, il faut multiplier les occasions d’accroître sa visibilité. Mais lorsqu’on est un des créateurs de Stanley Parable qui fut un titre acclamé autant par la critique que par les joueurs, on peut aisément se reposer sur sa notoriété et se permettre ce genre de facéties. Ainsi, le 29 septembre, l’internet se voit doté d’une nouvelle page quasiment vide dédiée à ce nouveau jeu, doté pour seul matériel promotionnel d’un trailer assez perché, comme on pouvait s’y attendre. En gros, Davey explique que sa nouvelle création consistera en l’exploration d’une suite de petits jeux.

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En toute simplicité.

The Beginner’s Guide, c’est simplement ça. Une promenade au travers de différents petits prototypes, analysés et décortiqués par Davey Wreden qui cherche à tisser des liens entre ceux-ci, et à en extraire les mystères qui y sont dissimulés, dans le but de mieux comprendre la psychologie de celui qui les a créés. Très vite, on retrouve le principe clé qui se trouve au coeur de Stanley Parable, à savoir le narrateur omniscient qui s’adresse directement au joueur sans chercher à instaurer une quelconque impression de fiction. Mais là où le narrateur de Stanley Parable le faisait avec humour, contraint de devoir s’adapter maladroitement aux envies du joueur, The Beginner’s Guide déploie sa narration rigide dans une linéarité chronologique bien réelle. Soudainement, le jeu devient sérieux, ancré dans une réalité bien palpable, jusqu’à en devenir quasi biographique.

La tonalité n’a de ce fait plus rien à avoir avec les péripéties loufoques de couloir du Stanley. Le ton devient de plus en plus grave, les enjeux de plus en plus sombres. À aucun moment Davey ne joue la carte du cynisme ou du second degré qui ont largement contribué au succès de son premier jeu. Mais est-ce que ça marche?

C'est moins drôle, mais là n'est pas le problème.

Le ton n’est pas à la rigolade, mais ça n’est pas grave.

Pour ma part, je dirai oui. L’envie de comprendre, de savoir jusqu’où cette exploration allait me mener ne m’a pas quittée. The Beginner’s Guide n’est rien d’autre qu’une plongée intimiste dans le psyché de Davey Wreden, nous livrant ses peurs et les tourments qui accompagnent son travail dans le jeu vidéo. Travaillant moi-même sur un projet de jeu depuis maintenant plus de trois ans, je n’ai eu aucune peine à m’y retrouver. C’est là tout le problème mais aussi tout l’intérêt de ce jeu.

Stanley Parable avait réussi le tour de force de s’adresser à tous les types de joueurs en pointant d’un doigt léger et moqueur les limites du média vidéo-ludique. The Beginner’s Guide, lui, cherche à nous partager un contenu beaucoup plus personnel et sensible. Même si le discours peut tout à fait s’étendre à la création artistique en général, je doute quant à l’accessibilité de son message envers le public ne partageant pas cette fibre. Mais peut-être me trompe-je, à vous de me le dire.

Dans le documentaire Game Loading: Rises of the indies, on peut déjà se douter de ce qui se cache derrière la coloration capillaire fantaisiste de Davey Wreden.

Dans le documentaire Game Loading: Rises of the indies, on peut déjà se douter de ce qui se cache derrière la coloration capillaire fantaisiste de Davey Wreden.

Mais un jeu se doit-il forcément d’être accessible et ouvert à un public large? Non, bien sûr que non. Mais ce qui m’ennuie par-dessus tout, c’est que Davey y était parvenu avec son premier jeu, sans pour autant que cela nuise à son discours. Ce qui manque à The Beginner’s Guide, c’est une pointe d’ingéniosité. À aucun moment le jeu ne profite des interactions du joueur pour sublimer son message. Il est pourtant des moments où des efforts ont été pensés en ce sens, mais la magie ne prend pas. The Beginner’s Guide aurait pu tout à fait être un livre, l’expérience de jeu n’y est pas cruciale.

En réutilisant le principe de narration omnisciente, Davey s’est épargné l’effort de se réinventer et a cru bon de se baser sur une idée qui lui a valu le succès de son premier titre, comme s’il en faisait désormais sa patte, son style d’artiste. Le problème c’est que les deux titres sont tellement différents dans leur tonalité et leurs messages, que The Beginner’s Guide ne peut que souffrir de la comparaison. C’est dommage, car Davey savait pertinemment que tout le monde l’attendait au tournant, après l’incroyable succès de son premier bébé. Bien conscient de cette problématique, il a cherché à créer la surprise en optant pour un récit beaucoup plus sincère, intimiste. Dès lors, pourquoi ne pas en changer également la forme? The Beginner’s Guide souffre de la trop grande similarité qu’il partage avec son grand frère. Cet amalgame inconscient frustre le joueur, car jamais il ne retrouve ce petit quelque chose de pertinent qu’il a adoré dans Stanley Parable.

Les couloirs ne sont pas l'élément qui rappellent le plus Stanley Parable.

Les couloirs ne sont pas l’élément qui rappellent le plus Stanley Parable.

J’ai néanmoins apprécié The Beginner’s Guide. Ce fut une expérience originale, intriguante et qui m’a tenue en haleine. Typiquement le genre de jeu qui vous laisse songeur lorsque terminé, car l’esprit remué par de multiples interrogations. Cela, personne ne peut le lui enlever. Mais malgré tout, je ne peux m’empêcher de lui reprocher cette prise de risque à demi assumée, opérée dans le fond, mais à peine dans la forme. Lorsqu’on est autant taré et talentueux que Davey, on doit oser aller plus loin. Bordel.

The Beginner’s Guide est disponible sur Steam pour 7,19 euros (remise de 20% jusqu’au 8 octobre) ou sur Humble Store pour le même prix.