Swiss Game Academy: Le camp qui demande beaucoup de concentration.

Au risque de passer pour un helvétique hérétique fort irrespectueux de son folklore national, je vous le dis: Je n’ai jamais aimé les camps de ski. Qu’il s’agisse du sport sensé y être pratiqué ou les moments de franche camaraderie dans les dortoirs, la majorité des souvenirs que j’en ai me sont douloureux. Au sens propre, quand sur les pistes mes piètres performances sportives m’envoyaient valdinguer dans les fossés où je finissais les membres inexplicablement et inextricablement entre-mêlés. Au sens figuré, quand ces chiens de 6ème ont noyé mon ours en peluche dans la cuvette des WC. Du coup, lorsque j’ai entendu parlé de la Swiss Game Academy comme d’un camp d’été pour faire des jeux vidéo, j’ai eu la frustrante impression d’être né trop tôt.

SGA_Logo
La Swiss Game Academy s’est déroulée du 17 au 21 août dernier dans la capitale fribourgeoise. Ouverte à tous, elle proposait à ses participants de s’initier au métier pluridisciplinaire de la création de jeux vidéo. Pour ce faire, plusieurs conférences ont été dispensées par quelques professionnels romands. Chaque cours avait pour thématique une facette particulière parmi les nombreuses que requièrent le développement d’un jeu: game design, level design, animation, etc… Parallèlement à la théorie, les participants se sont rassemblés en différents groupes afin de réaliser un jeu vidéo de leur cru, sans contraintes ou thématiques, à contrario d’une game jam plus traditionnelle. Mais la différence ne s’arrêtait pas là. En effet, une très grande majorité de participants ne disposait d’aucune expérience en matière de création vidéo-ludique. Afin d’éviter que les étudiants ne se retrouvent complètement livrés à eux-mêmes, à poil, face aux multiples difficultés qu’ils auraient à surmonter, la Swiss Game Academy a mis en place un pertinent système de coaching. Quoi de plus légitime pour un camp que de pouvoir compter sur ses fameux moniteurs enjoués aux sourires charmeurs qui font chavirer les coeurs? Pour la Swiss Game Academy, c’était presque pareil, à la différence des marques de bronzage laissées par les lunettes à ski, ici remplacées par des cernes creusées au fur et à mesure des nuits. Il va sans dire que les coachs n’ont pas feinté leur investissement et se sont surpassés pour permettre à un maximum de groupes d’avancer leurs jeux. Le pari s’est avéré payant.

La conférence d'Antoine Tuloup sur fond de sound design champêtre. Meuh.

La conférence d’Antoine Tuloup sur fond de sound design champêtre. Meuh.

En effet, une écrasante majorité de groupe ont terminé leur camp avec la satisfaction d’avoir entre les mains un jeu tout à fait jouable. Certes, le niveau des différentes productions qu’il m’a été donné de pouvoir essayer était parfois inégal, mais compte tenu du contexte particulier de l’événement, le résultat demeure impressionnant. La plupart des participants n’étaient pas familiers de la conception vidéo-ludique et encore moins des logiciels destinés à cet usage. De plus, le nombre d’heures effectives dédiées au travail sur les projets excédait à peine la vingtaine.
Les jeux de game jam, j’en bouffe presque tous les jours, croyez-moi. Je peux vous dire qu’un bon nombre des productions de la Swiss Game Academy n’a pas à rougir par rapport à ce qui peut se faire ailleurs. Mais en toute honnêteté, ce que je retiens du camp, ce ne sont pas les jeux qui en sont sortis.

La vérité, c’est que j’ai une âme de vieux con. J’ai grandi aux côtés du jeu vidéo. Tous deux, nous avons appris à nous surpasser, à évoluer. À nos débuts, nous nous contentions de gambader gaiement à la recherche de princesses à sauver, de vilains méchants à terrasser. Aujourd’hui, nous avons mûris et nous affrontons conjointement des sujets beaucoup plus complexes, armés d’une passion sans cesse grandissante vis-à-vis de tous les défis qu’il nous reste à relever. À partir de ce constat, j’étais inquiet qu’une bande de jeunots n’ayant à priori aucune conscience de cette évolution daigne comprendre toutes la subtilité de la création vidéo-ludique. Comprenez-moi.

Tant d'horreurs.

Tant d’horreurs.

Là où nos standards s’érigeaient en des termes tels que: Theme Hospital, Final Fantasy VII, Banjo et Kazooie ou n’importe quel autre titre au bon goût d’antan, les jeunes d’aujourd’hui (oui, j’ai osé) sont malheureusement surexposés à d’autres références à la saveur bien différente. Je pense bien sûr à cette accumulation honteuse de titres qui exploitent continuellement les mêmes licences, je pense aux youtubers qui passent leur temps à brailler des idioties dans leurs micros, je pense au free to play, au pay to win et donc à tous ces immondices surmédiatisées que les jeunes joueurs sont malheureusement en droit de considérer comme leurs « standards ».

J’ai un peu honte de l’écrire, mais une partie de moi avait peur de voir débarquer tout un tas de décérébrés souhaitant reproduire des clônes de Call of Duty ou Candy Crush Saga. J’ai rapidement réalisé toute la bêtise de mes sombres anticipations.
Bien au contraire, j’ai été ravi par la qualité des conversations que j’ai pu entretenir avec un grand nombre des participants. Qu’elles soient critiques par rapport au jeu sur lequel ils avaient travaillé, ou simplement vis-à-vis de ceux auxquels ils ont pu joué, les échanges furent riches et intéressants, et ce pour une raison simple.

03

La passion qui les anime n’est pas différente de la mienne. C’est pourtant évident. Qui peut prétendre à vouloir suivre une semaine de camp enfermé entre quatre murs en pleine période de vacances scolaires, si ce n’est de véritables passionnés? Mieux. Plutôt que de demeurer de simples consommateurs, les participants ont cherché à passer de l’autre côté et à vivre la prolongation évidente de leur passion: apprendre et comprendre la création vidéo-ludique.

Ce que je retiens de la Swiss Game Academy, c’est donc avant tout la qualité de ses participants. Dans sa globalité, l’engouement et l’investissement dont ils ont fait preuve a fait volé en éclats mes préjugés de vieux con. Alors que la scène suisse romande du développement de jeux vidéo commence enfin à poser ses fondations, elle peut d’ores et déjà compter sur une deuxième génération de passionnés qui n’attend que de s’y engouffrer. Il me tarde de les voir à l’oeuvre, car ils ont sans aucun doute, tout le potentiel pour nous épater. Je n’ai pour ma part jamais remis les pieds sur des skis, c’est la dernière chose que je leur souhaite.