Devil’s Third

Devil’s Third, c’est l’histoire du beurre, de l’argent du beurre et de la crémière. Contrairement à l’adage, Itagaki s’est dit qu’il serait judicieux de courir après les trois simultanément. Devil’s Third est donc un FPS, un Cover Shooter et un Beat Them Up. Si un esprit sain se serait douté qu’il se cachait derrière cette idée un certain nombre de contradictions, le flamboyant Japonais aux lunettes noires a foncé tête baissée. Maintenant que sa tête est dans le mur, nous allons pouvoir discuter tranquillement de son étrange idée.

Pour pouvoir s’insulter en de bon termes, j’aimerais de suite préciser que cette critique porte uniquement sur le mode solo du jeu, le multijoueurs ayant été désert lors de nos phases de test. Nous pouvons seulement témoigner de la présence peu rassurante du tristement célèbre combo « pay to win »: microtransactions + armement évolutif. En dehors de ce présage de mauvaise augure, nous ne jugerons point de sa qualité ici. Heureusement, le solo nous laisse amplement de quoi disserter pendant les prochaines minutes.

Lorsque l’on est habitué aux productions antérieures léchées de l’ami Itagaki, l’aspect technique de Devil’s Third a tous les atours d’une trahison. Si les personnages clichés au design de mauvais goût sont sa marque de fabrique, les graphismes souffrant de dix ans de retard sont par contre un cas unique dans ses productions. C’est bien simple: le jeu soutient à peine la comparaison avec le premier Ninja Gaiden. Et comme nous allons le voir, ce n’est malheureusement que la pointe immergée de l’iceberg.

Lequel de ces deux jeux est sorti en 2004?

Lequel de ces deux jeux est sorti en 2004?

Toute la mise en scène du jeu est complètement aux fraises. Les séquences sans queue ni tête s’enchaînent les unes aux autres sans discontinuer. Un passage se termine au pied d’un camion dans lequel notre personnage prend la fuite dans une cinématique? Le jeu reprend au pied du camion qui n’a pas bougé d’un centimètre. Notre personnage se glisse in extremis avec deux soldats sous une porte guillotine laissant de l’autre côté la moitié de leur équipe brûler dans les flammes de l’enfer? Qu’à cela ne tienne, l’équipe au complet réapparaît en grande forme dans la cinématique suivante. Des situations qui prêteraient à rire si le jeu n’essayait pas désespérément de nous persuader du sérieux de son histoire avec des instants émotions dont on ne comprend le plus souvent pas l’enjeu. A l’image de cette séquence post-boss où le héros s’exclame tragiquement: « Putain, Bill est mort! ». Mais qui est Bill mon gars?
La fête serait moins belle si le jeu ne proposait pas en sus: une IA à la rue qui entre deux tirs à l’angle impossible réfléchit au sens de la vie la tête dans un mur, des checkpoints complètement fantaisistes nous replaçant à des kilomètres de notre mort et évidemment un framerate bourré oscillant entre cinquante et vingt images par secondes dès qu’il a plus que trois murs gris à afficher. Une catastrophe technique qui ne fait malheureusement qu’annoncer un gameplay tout aussi vilain.

Bill? C'est toi?

Bill? C’est toi?

On l’a dit dans l’introduction, Devil’s Third se présente comme un melting pot de l’impossible en cherchant à unir Call of Duty et Ninja Gaiden. Si d’un point de vue marketing cela fait complètement sens au vu des tendances actuelles et du CV de Itagaki, cela ne rime à rien d’un point de vue ludique, comme le prouve en permanence la campagne solo. Deux difficultés majeurs viennent entraver le bon déroulement des opérations.
La première est la transition entre la vue à la troisième et la première personne. Le changement de perspective, particulièrement de la vue Beat Them Up à la vue FPS, demande une adaptation des points de repères dans l’espace qui peut prendre plusieurs millièmes de secondes, soit une durée suffisante pour prendre plusieurs balles dans le buffet en ayant la sensation d’être totalement impuissant.
La deuxième difficulté provient de l’accumulation des systèmes de jeu. Qui dit genres différents, dit enjeux différents: on ne combat pas de la même manière dans un FPS que dans un Beat Them Up. Le FPS s’articule autour du type d’arme possédé, la rapidité de tir et le positionnement à longue distance quand le Beat Them Up développe la palette de coups, la vitesse de déplacement et le placement à courte distance. Comment alors conjuguer les deux sans noyer le joueur sous un torrent d’informations simultanées? Tout simplement en transformant les ennemis en attardés mentaux se contentant de nous tirer dessus sans bouger ou de nous attaquer en combat rapproché avec deux pauvres attaques répétées à l’infini. Une solution, vous le conviendrez, plutôt contestable.

L'enfer...

L’enfer…

Pourtant même avec cette approche « radicale », le jeu est une véritable sinécure à chaque apparition simultanée d’ennemis « Beat Them Up » et « FPS ». Bien conscient du problème, Valhalla Game évite 90% du temps cette configuration. L’enjeu consiste dès lors à deviner quel sera le type de gameplay de la séquence suivante. Une devinette comportant le plus souvent de subtiles indices tels qu’un sniper ou un sabre posés négligemment au pied d’un mur.
Question de tirer sur l’ambulance pour s’assurer de la mort du patient, je mentionnerais encore un système de couverture tout moisi rappelant les pires heures de MGS, des combats de boss ridicules et des armes complètement interchangeables.

Chaque période a ses questions. Cette année, le divorce Kojima / Konami aidant, le petit monde du jeu vidéo se demande si les grands créateurs d’hier seront toujours aussi flamboyants hors de leur berceau originel. Une question ma foi légitime lorsque l’on connait l’importance d’un éditeur dans la gestation d’un projet. Aujourd’hui, Devil’s Third, premier projet de Tomonobu Itagaki hors de Tecmo vient nous apporter sa réponse: l’avenir aura un petit arrière-goût de caca.