Uncharted 4: A Thief’s End

La plupart de mes articles s’écrivent tout seul. Soit parce que l’expérience qu’ils relatent a fait résonner en moi une vibrante passion que je me sens viscéralement contraint de clamer, soit parce qu’elle soulève des questionnements que je dois figer pour en être soulagé. Ce constat introspectif, je le dois à Uncharted 4.

En effet, lors du Tartine Mécanique premier du nom, j’ai perdu un pari et reçu pour gage d’écrire un article au sujet du dernier rejeton de Naughty Dogs. Ma première réaction fut réjouie. La perspective de critiquer un jeu totalement différent de ceux à la tendance expérimentale sur lesquels je me concentre habituellement constituait un défi que je me sentais de taille à relever. Très naïvement, j’estimais que les aventures d’un énième caucasien barbu de trois jours seraient autant faciles à décortiquer qu’à être jouées. Confession pour confession, j’avoue qu’une de mes nombreuses petites voix intérieures ricanait d’impatience à l’idée de pouvoir taper sur un triple AAA et ce dans l’unique but de faire valoir des prétentions identitaires d’hipster vidéo-ludique blasé. Au final, une seule de mes prévisions est tombée juste: Uncharted 4 est facile. Au sujet du reste, je me suis magistralement fourvoyé.

 

Drake, ce mec super sympa.

Drake, ce mec super sympa.

 

Une fois le jeu terminé, j’ai eu envie de laisser se tasser mon ressenti. Prendre un peu du recul, ne pas écrire à la va-vite, prendre mon temps, toussa, toussa. J’ai ensuite esquissé quelques critiques quant au système de jeu, notamment lorsque celui-ci m’a semblé impertinent par rapport à l’expérience blockbusterienne que Naughty Dogs a eu pour objectif de proposer. C’est là que mes ennuis ont commencé. Dans l’ensemble, j’ai passé des moments franchement sympathiques à tuer les méchants. Accroché aux rambardes, à califourchon dans les hautes herbes, Nathan dispose d’une riche panoplie de mouvements pour se défaire discrètement des ennemis qui errent dans les arènes à traverser. On comprend vite que le but est d’en zigouiller un maximum sournoisement, car une fois l’alerte déclenchée, il devient très difficile de s’en sortir indemne si le nombre des ennemis encore sur pied dans la zone est trop important. En général, une première approche douce est fortement encouragée, jusqu’au moment où l’on se fait repéré. Là, c’est l’occasion de finir le taf à l’ancienne, en claquant du plomb dans la tronche des gens. À cet agencement standard se rajoutent les tonneaux rouges explosifs judicieusement disposés à côté de certains packs d’ennemis, d’autres scènes de shoot beaucoup plus scriptées mais aussi le support des potes de Nathan qui ont le bon goût de ne jamais faire foirer vos stratégies. Par ailleurs, d’autres tableaux se révèlent plus facilement traversables lorsqu’aucun usage de la force n’y est perpétré. Vous l’aurez compris, les situations de jeu s’avèrent dans l’ensemble beaucoup plus riches et variées que lors des précédents épisodes, autant bien dans leur forme que dans les libertés laissées au joueur. Si bien que mon envie de reprocher quelques maladroitesses peu élégantes s’efface devant la pluralité des situations proposées.

Cette générosité ne se cantonne pas aux scènes de baston ou d’explosions (très nombreuses d’ailleurs). Il en va de même pour les séances d’exploration, qu’on parcourt en conduisant une jeep ou un bateau. Certes, les territoires à arpenter ne sont pas très vastes en vérité, mais l’illusion d’être largué en plein coeur de l’exotique inconnu demeure néanmoins. La faute à des environnements bâtis par une direction artistique maîtrisée et qui ne manque pas de s’étaler copieusement jusqu’à l’horizon. Car la distance d’affichage, elle aussi, est très généreuse.

 

Les environnements ont franchement de la gueule.

Les environnements ont franchement de la gueule.

 

En gros, c’est cette abondance globale qui m’a décontenancée lors de ma rédaction de cet article. Uncharted 4 est riche et Naughty Dogs s’est franchement donné de la peine pour faire mieux et beaucoup. Le scénar’ par exemple reste un classique du genre d’aventure, prévisible comme jamais, mais en certains moments de ses moments, il a su se montrer charmant, voir carrément surprenant dans la manière dont il s’articule. Je pense tout particulièrement au début du jeu, où ma fibre nostalgique a été caressée dans le sens du poil, de tanzanie. D’autre part, je me sens obligé de relever l’incroyable scène de poursuite motorisée à Madagascar, véritable chef d’oeuvre du genre. Jamais la sensation d’incarner un vrai héros de film d’action n’a été autant bien retranscrite dans un jeu vidéo. Le travail de level design, de difficulté, de rythme et de fluidité y est tout simplement sidérant. D’ailleurs, à chaque fois que j’ai repris la rédaction de cette article, le premier souvenir qui m’est systématiquement revenu en tête fut celui de cette folle course poursuite.

Tu l’auras compris cher lecteur, Uncharted 4 me perd, son abondante générosité me désamorce. Je me sens incapable de le prendre seulement par un seul de ses bouts. Pour plusieurs raisons d’ailleurs, la moins importante étant qu’il y aurait des tonnes de choses à dire, en bien comme en mal, sur beaucoup de ses facettes. Mais la raison cruciale et castratrice de ma réflexion se révèle être ce qui a fait pour moi tout l’intérêt de mon expérience: l’ironique fluidité qui émerge de sa surabondance. En effet, même si j’ai pu être ennuyé à certains moments, le jeu m’a toujours laissé miroiter un surgissement divertissant. C’est d’ailleurs ce possible qui m’a tenu en haleine la plupart du temps. Il y a dans le foisonnement des péripéties de Nathan et de sa clique quelque chose d’hypnotisant, un rythme maîtrisé rarement ébranlé. C’est d’ailleurs là où je pense que le jeu m’a convaincu. En qualité de pur divertissement Uncharted 4 remplit son contrat à merveille.

 

Du cigar et du whisky, les carburants des vrais aventuriers.

Du cigar et du whisky, les carburants des vrais aventuriers.

 

Lorsque j’ai cherché à décortiquer Uncharted 4 avec mes outils traditionnels, j’ai échoué et ce à plusieurs reprises. Il y a eu l’envie de démontrer l’évidence de sa dissonance ludo-narrative, les failles dans son scénario, l’impertinence de ses mécaniques vis-à-vis de son propos et d’autres approches qui me paraissent maintenant bien à côté de la plaque. J’ai vainement tenté de dégager une caractéristique cruciale, un élément essentiel symptomatique de l’expérience dans sa globalité. Je m’en suis retrouvé incapable, car Uncharted 4 ne m’a pas laissé de traces cruciales. Il m’a juste pris par la main tout le long de son aventure, me promenant de scènes en scènes sans jamais heurter ou décevoir. Ce n’est que lorsque j’ai arrêté de vouloir le triturer et de lui prêter une intention plus subtile que je crois l’avoir compris. À l’image de Nathan, Uncharted 4 est un objet vidéo-ludique simple, généreux et gentil qui a pour but que de proposer au joueur un divertissement facile qui se déroule sans heurts.

Attention, cela ne signifie pas pour autant que ce parti pris l’épargne de toute critique et qu’il peut se permettre n’importe quoi. Non. Mais dans le cas d’Uncharted 4, je n’ai rien trouvé de suffisamment édifiant ou ingénieux qui mériterait d’être relevé. Sa générosité et ses bons sentiments suffisent la majorité du temps à contrebalancer ses maladroitesses. En qualité de divertissement bon enfant, cela m’a amplement suffi, à défaut par contre, de m’avoir inspiré.