Silence, je joue

Des bips stridents des premières puces son aux envolées lyriques des orchestres philharmoniques, la musique de jeu vidéo a fait son bonhomme de chemin. Hier sommaires, les compositions qui ornent aujourd’hui nos escales à Hyrule, Azeroth ou Bordeciel pètent la classe: on se tait, on écoute et on bave. Je bave depuis tout petiot et si je compose aujourd’hui des musiques pour ledit médium c’est pas par hasard. Quand il est question de mon art, je suis un critique pointilleux et acerbe. Qui aime bien châtie bien et je suis d’humeur à châtier. Ainsi mon courroux s’abattra sur ces moments où la musique, même quand elle est cool, je la coupe parce qu’elle insulte mon intelligence et mon imagination, parce qu’au lieu de narrer elle dicte et restreint.

Si le jeu vidéo peut se vanter d’une chose, c’est d’avoir poussé l’immersion dans des mondes imaginaires à son paroxysme. Ce qu’il faut imaginer à la lecture d’un livre ou broder mentalement entre les cases d’une BD ou les plans d’un film c’est tout ce que le jeu vidéo offre instantanément dans ses phases de gameplay : un feedback immédiat accompagnant chaque pression de touche. La narration des phases actives est définie par le rythme de croisière de celui qui tient la manette et chaque joueur est libre de progresser à son aise, qu’il chasse les trophées ou s’empresse d’aller poutrer le boss final. C’est cette liberté d’exploration non linéaire des jeux à monde ouvert modernes qui devient épineuse quand on doit mettre de la musique dessus. Quoi de plus naturel pourtant que d’inviter la musique à se montrer elle aussi interactive ? Ben le problème c’est que quand ça marche pas, ça marche vraiment, vraiment pas.

Tais-toi, jeu.

Final Fantasy XV par exemple a des musiques dingues et un sound design au poil mais n’est pas foutu de distiller son artillerie sonore avec tact. Que je croise un crapaud ou un boss optionnel qui liquide mon équipe en un coup c’est la même rengaine : tout l’orchestre et les 200 choristes me hurlent aux oreilles pratiquement sans transition et m’ordonnent d’être stressé, peu soucieux qu’ils sont du réel niveau de la menace sous mes yeux. Même indélicatesse dans le dernier Hitman où je m’étais enfermé dans les toilettes, inquiet d’entendre encore le thème « action » tourner alors que mes poursuivants s’étaient découragés. Rebelote dans le Prey de 2017 qui s’amuse à me faire bondir sonorement de mon siège quand l’élément sursautogène est derrière moi et qu’il disparaît quand je me retourne.

Dois-je être sur mes gardes ? Y a-t-il encore des pas-beaux à liquider vu que la musique est toujours aussi fâchée ? Est-ce que j’ai raté quelque chose ? Toutes ces questions résultent directement du conditionnement narratif induit par la bande-son elle-même et vise à signifier un sentiment clair : je dois avoir peur, je dois tuer du pas-beau, je dois chercher la solution à cette énigme. Autant d’instructions et d’informations que communique la musique alors que le reste du jeu le faisait déjà.

Le 10ème art pêche alors par souci d’analogie aux canons de son ainé le cinéma, médium duquel il croit devoir s’inspirer vu qu’il devient aussi « joli » que lui. Il commet l’erreur de prétendre que sa narration est linéaire et fait parfois fausse route, tendant à abuser de ficelles grossières en voulant envoyer du lourd. On assiste alors à une étrange batardisation de cette musique qui souhaite conserver son héritage bipesque tout en s’adaptant à la modernité des outils et du public (et FFXV en est la preuve ultime). Des mélodies guillerettes dans un platformer retro ? J’achète. Une boucle d’ambiance flippante dans un FPS ou un survival horror ? Pléonasme ludique.

Heureusement pour mes oreilles et ma tension artérielle il n’y a pas que des cancres parmi les AAA d’aujourd’hui. D’importants acteurs comme Rockstar avec leur GTA V ou plus récemment Nintendo et le retour du plus vaillant des Hyliens ont su me réconcilier avec la musique interactive en se montrant malins dans son utilisation, non pas comme vulgaire calque du récit mais comme véritable outil narratif de choix qui, s’il était « muté », ternirait l’expérience de jeu. Les compositeurs se doivent de s’affranchir des codes usés inhérents au médium et revêtir un peu la casquette de game designer pour offrir cette valeur ajoutée qui fait défaut à de nombreuses licences.