Le jeu vidéo en Suisse – Zapped Cow

Zapped Cow, petit studio nyonnais composé d’une personne, vient de publier son premier jeu commercial sur l’App Store au mois d’octobre. Zoop! est un jeu multijoueur familial frénétique dans lequel il faut se disputer des palets de couleurs à coup de doigts rageurs. Afin de mieux comprendre comment on produit un jeu dans notre beau pays montagneux, souvent dépassé par le train du jeu vidéo, nous sommes allés poser quelques questions au fondateur, Joel Launer.

Joel, pour commencer raconte-nous un peu qui tu es dans ta vie non-vidéoludique.

Pour ce qui est de la situation civile, j’ai 31 ans, je suis marié et j’ai un enfant. Sinon je suis informaticien dans une grande entreprise. J’ai fait mes études à la HEIG d’Yverdon (ndr: Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion).

Comment en es-tu arrivé à créer des jeux vidéo?

J’ai toujours fait de la programmation. Je pense depuis que j’ai 10 ans. Je programmais dans la chambre de mes parents avec QBasic. Je regardais les codes des deux jeux d’exemple de Microsoft: le Snake et Gorilla. J’ai toujours un peu fait des jeux mais jamais sérieusement. Plutôt par intermittence, en fait. Je fais aussi du dessin, un peu de musique… J’ai toujours aimé créer.

Quand j’ai commencé à bosser, je me suis mis à faire énormément de dessin. Au point de vouloir quitter mon boulot pour être illustrateur. Après quelque temps, j’ai remarqué que j’aimais dessiner mais que c’était purement artistique, qu’il me manquait le côté intellectuel, plus technique. C’est là qu’il y a eu le déclic. Un soir, je jouais à un jeu et je me suis dit: j’aime créer, j’aime ce qui est graphique et j’aime programmer: il faut que je fasse des jeux!

A partir de là, tu t’y es donc mis sérieusement. Par quoi as-tu commencé?

Comme tout le monde, j’ai commencé à essayer de faire des triples A comme Diablo ou Heavy Rain. Donc pendant un an et demi, deux ans, j’ai rien fait. J’ai commencé cinquante trucs sans jamais finir. Mais j’ai appris un peu la technique. J’ai essayé de me mettre dans des équipes des quatre coins du monde: des « dream teams ». On pensait que tout était simple: on allait vendre sur Steam et faire un succès…

Ensuite, j’ai découvert le Ludum Dare (ndr: une Game Jam. L’objectif est d’y faire un jeu vidéo dans un temps limité, sur un thème donné) et c’est là que j’ai terminé un jeu pour la première fois: Jet Pack Pixel. C’est un jeu à la con, un endless runner mais pour mon premier Ludum Dare j’en suis assez fier. Il y avait un effet de changement jour/nuit avec les lumières des bâtiments qui s’allument. De la folie! (rires) Ca m’a surtout fait comprendre qu’il fallait faire des trucs super simples.

A part à tes propres jeux, à quoi d’autre joues-tu actuellement?

J’aime toujours jouer aux jeux commerciaux. Je joue même à un free to play: Might & Magic Duel of Champions (ndr: un jeu de cartes à la Magic). Mais je suis surtout dans une phase où j’adore les portails comme Kongregate ou n’importe qui peut envoyer un jeu. Mon nouveau délire c’est de prendre les vingt derniers jeux soumis. La plupart sont à l’état brut, le gars a fait avec les moyens du bords, il n’a pas pensé au côté économique de la chose. Je trouves ça bien plus riche et intéressant que la plupart des jeux commerciaux.

Dans le meilleur des mondes, si tes jeux pouvaient t’amener suffisamment d’argent pour vivre, est-ce que tu t’y lancerais à plein temps?

Je le ferais si j’avais la possibilité de le faire sans contraintes financières. En fait c’est ça: dès qu’on pense à l’aspect économique, ça entrave énormément la création. Pourtant en général, les contraintes sont bonnes pour créer. Par exemple, dans une Game Jam, tu as 48h et un thème imposé: ce sont de bonnes contraintes. Est-ce que l’argent est une bonne contrainte? Ca serait une question à creuser.

Disons que je ne me verrais pas faire ça pour nourrir ma famille, mais par contre mettons que je fais un jeu qui fait des millions, c’est sûr que là j’arrête de bosser et que je fais ça à plein temps. A un moment, j’ai eu pour projet de tenter l’aventure au Canada avec ma femme qui est originaire de là-bas. Seulement, entre temps je suis devenu papa et ça a tout changé. Je ne regrette pas. C’est juste un peu différent. Est-ce que ça m’aurait plu? Je ne sais pas.

Joues-tu à des jeux suisses? As-tu des contacts avec la scène indépendante Suisse?

Très peu. Via le Ludum Dare, je connais Codexus (un Genevois) et un Lausannois qui est à l’origine de Devsofa (ndr: un system de forum privé novateur à l’usage des game designers). Il n’y a pas de réseau de développeurs romands pour l’instant, mais ça pourrait être intéressant. Il existe une association mondiale, l’IGDA (International Game Developers Association), qui réunit les développeurs indépendants. Il existe des chapters pour plusieurs pays, notamment en Suisse à Zürich. Ils font des meetings une fois par année mais c’est en suisse allemand… Du coup, il faudrait un pôle suisse romand.

Pour revenir à la question: non, je ne joues pas particulièrement à des jeux du terroir mais c’est aussi dû à Internet. Les jeux ne viennent pas de Suisse ou d’Amérique, ils viennent d’Internet.

Zoop! est disponible exclusivement sur iPad. Question qui revient souvent: pourquoi favoriser Apple plutôt que Android ou même un autre magasin en ligne?

C’est assez simple: parce que j’ai un iPad, pas de tablette Android et que j’ai créé Zoop! avec Codea. C’est un programme existant uniquement sur iOS qui permet de programmer directement sur l’iPad. J’ai fait le jeu là-dessus pendant mes vacances au Canada dans ma belle-famille. C’est pour ça que c’est un jeu multijoueur très simple. Au départ, j’ai fait ce jeu comme ça, un peu pour rire. Quand j’ai vu que tout le monde se fendait la gueule, je me suis dit qu’il fallait creuser. De retour en Suisse, j’ai vu que je pouvais facilement en faire une version commercialisable sur l’App Store alors que pour Android je devrais tout recoder. D’où le choix d’Apple. Mais je ne suis absolument pas pro-Apple: en temps normal, je suis plutôt dans une optique multi-plateformes.

Tes jeux proposent toujours un gameplay très épuré. Pourquoi cette direction plutôt qu’une autre?

J’aime les jeux simples. Le jeu parfait pour moi c’est « easy to learn, hard to master ». J’aime bien le minimalisme. J’ai fait pas mal de recherche là-dessus. Un bon design, ce n’est pas quand tu n’as plus rien à ajouter, mais quand tu n’as plus rien à enlever.

Il y a aussi des raisons pratiques: je suis tout seul et c’est difficile de finir quelque chose. C’est toujours facile de commencer mais si tu fais un jeu avec beaucoup de contenu, il va te falloir minimum deux ans pour le finir. Il y a donc beaucoup de chance que tu n’en voies jamais le bout… Au début, c’est toujours excitant. Mais passé un certain stade, il y a toujours des problèmes, l’intérêt redescend ou il y a une nouvelle idée plus sexy qui arrive. Malheureusement, tu vas vite te rendre compte que cette nouvelle idée va rencontrer les mêmes problèmes. Cette année du coup, j’ai fait le « One Game A Month » où l’objectif est de faire un jeu par mois. Certains mois, j’ai fait un jeu en deux jours seulement, au moins ça m’a appris à terminer mes projets. Grace à ça, j’ai douze jeux cette année. Et le challenge de l’année prochaine, c’est de faire l’inverse. Douze jeux en un an c’est facile, un jeu en un an c’est plus difficile.

Quel serait ton exemple de game designer pratiquant le « easy to learn, hard to master »?

David Cage! (rires) Terry Cavanagh avec Super Hexagon ou plus encore Adam Saltsman avec Canabalt. Je ne connais pas beaucoup de game designers, je suis plus les jeux que leur créateur.

As-tu l’impression d’exprimer quelque chose avec tes jeux?

Oui. Je pense que ça commence doucement. Aujourd’hui, j’ai l’impression que sur quelques jeux j’exprime quelque chose de plus profond. C’est une immense motivation, plus grande que les mécaniques de jeu à proprement parler. A l’inverse, le nouveau jeu que je fais aujourd’hui n’’est pas du tout dans cette optique. Je pense qu’il faut savoir varier les plaisirs: des fois c’est profond, et des fois c’est plus bête et méchant. Ca ne se commande pas.

Whack-A-Dungeon

Whack-A-Dungeon

Comment ressens-tu la spécificité du jeu vidéo comme moyen d’expression par rapport aux autres médias?

C’est un peu différent. Les messages que tu peux passer sont beaucoup plus basiques que dans le cinéma ou la littérature. Dans ces médias, tout est prévu à l’avance: tu peux diriger le lecteur, le spectateur. Alors que dans le jeu vidéo, tu laisses le robinet émotionnel au joueur.C’est comme « Passage » de Jason Rohrer: pour moi, c’est l’exemple type du jeu qui porte un message. Il y a beaucoup de fins, de moyens d’y jouer. Dans un jeu, tu t’appropries beaucoup plus le message parce que tu y poses des actes. Je pense que c’est beaucoup plus difficile de faire passer un message par le jeu, mais s’il passe, ça sera beaucoup plus fort. Parce que c’est toi, le joueur, qui y a activement participé. Dans un film, c’est jamais de ta faute alors que dans un jeu c’est toi qui prends les décisions. Le message est plus simple mais plus fort.

Pour conclure, comment présenterais-tu « Zoop! »?

Jeux de mains, jeux de vilains. Un jeu qui crée des interactions entre doigts.

 

Zapped Cow   Zoop!