FEIST

J’ai rencontré Feist sur Internet. Ses faux airs de Limbo m’ont immédiatement interpellé. Dans un premier temps par la négative. J’en ai vu trop des comme lui: ils te montrent leurs graphismes en ombres chinoises et capitalisent sur la sensation agréable provoquée par le souvenir d’un autre jeu. Il a beau être suisse, mon radar à caca de taureau s’est enclenché. Comme toujours dans ce type d’histoires, c’est lors de notre rencontre « IRL » que j’ai finalement pu voir à qui j’avais affaire.

Feist n’est pas Limbo. Une surprise fort agréable renforcée par l’originalité de ce qu’il a déployé dès les premières minutes de notre rendez-vous. Tout d’abord, sa direction artistique tant redoutée s’est révélée particulièrement réussie. Elle lui donne une personnalité délicatement posée au croisement de l’onirisme et du compte de Grimm. Pour ne rien gâcher, cette belle ambiance est soulignée par un design sonore d’une beauté et d’une cohérence rare. Le gameplay quant à lui repose sur un moteur physique aux dynamiques fort avantageuses. Le personnage principal se déplace avec précision et les interactions avec les éléments de jeu évitent la ridicule sensation de flottement propre au genre. Si l’on ajoute le fait qu’il n’a pas essayé de me baratiner avec une histoire faussement complexe, nous étions plutôt partis pour passer une bonne soirée lui et moi.

Ces première bonnes impressions se sont rapidement confirmées. Son gameplay a multiplié les coups de génie pour m’épater.
Feist repose sur l’idée de « Die & Retry » cher au jeu vidéo. Seulement, si dans un jeu de plateforme classique la séquence d’obstacles à franchir est toujours la même, ici grâce au moteur physique chaque tentative prend une forme différente. Un système qui apporte une fraîcheur inattendue à une mécanique éculée.
Mon intérêt s’est carrément mué en franche excitation dans la deuxième partie de soirée, lorsque la plateforme a laissé place à l’action. Dans ce contexte, son moteur physique fait également des merveilles. Notre petite boule de poils casse majoritairement la tête de ses adversaires à coup de planches en bois ou de pierres. Ces solutions conjuguées à la physique sont déjà l’occasion de rebonds intéressants lors de la première partie du jeu où les ennemis ne possèdent pas de projectile. Dans la deuxième, une fois ces derniers dotés de violence à distance, il devient rapidement évident que provoquer des dégâts collatéraux dans les rangs adverses est beaucoup plus intéressant que l’affrontement frontal. Se déploie alors un bal millimétré au milieu d’adversaires s’entre-tuant en voulant viser notre petit héros velu: de véritables moments de grâce qui trouvent leur apogée dans la mécanique dite de la mouche.
Danger aérien principal du jeu, la mouche projette des dards à intervalles réguliers en direction du joueur. Avec un peu d’adresse, ce dernier peut l’assommer avec un bon coup de bâton dans les mandibules. Il suffit alors de s’emparer de l’insecte évanoui pour devenir le Guillaume Tell du règne animal. Une mécanique excitante car à double tranchant: l’insecte se laisse manipuler tant que l’on ne se fait pas toucher, mais à la moindre pichenette il reprend ses fonctions d’assaillant, compliquant considérablement la tâche du joueur suivant le lieu de l’accident.
Après cette première heure et demi de rendez-vous, j’étais donc un peu à l’étroit dans mon caleçon. Tout ce que Feist esquissait était si bon que je n’attendais plus que de me vautrer dans le stupre et la sueur de ses promesses. Malheureusement, c’est là que mon beau prince s’est inexplicablement métamorphosé.

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A fortiori, il y avait eu des signes de ce dénouement dès les premières minutes de notre rencontre. Je n’avais seulement pas voulu les voir, ébloui par ses prodigieux atours. Derrière sa plastique et son gameplay inventif trainait déjà une lisibilité des obstacles douteuse, des boss au game design hasardeux et surtout une sensation permanente de ne pas comprendre ce qu’il attendait de moi. Si le choix d’une absence totale d’interface se respecte artistiquement, il aurait alors fallu faire un effort conséquent sur les indices visuels pour compenser. Notre avatar ne possédant pas d’indicateur de vie, on ne sait jamais combien de coups nous séparent du trépas. Dans le même ordre d’idée, les boss se paient le double luxe de ne pas posséder de barre de vie et d’avoir des collisions fort peu claires. Un problème de lisibilité récurent qui s’est empiré drastiquement lorsque Feist a décidé de devenir énigmatique.
La deuxième heure de jeu approchant, Feist se mue pour d’obscures raisons en jeu de réflexion, une décision qui aurait pu être judicieuse si son gameplay n’était pas basé sur un moteur physique et la lisibilité des niveaux était au rendez-vous. Les sections de jeu si excitantes jusque-là se transforment en véritable chemin de croix. Il faut tout d’abord tenter de comprendre ce que le jeu attend de nous, ce qui peut parfois prendre plusieurs minutes et une bonne dizaine de décès. Ensuite, le moteur physique se fait un malin plaisir de rendre l’exécution de la solution complètement aléatoire, voir dans certains cas totalement impossible. On meurt donc à répétition jusqu’à tomber enfin sur une tentative où notre bonne étoile décide qu’il est temps de passer à la suite. Vous comprendrez alors qu’à ce stade, mon beau prince avait perdu de sa superbe. J’étais à deux doigts de lui coller un pain dans sa jolie direction artistique.

Attendre que le ciel veuille bien que les ennemis s'entretuent...

Attendre que le ciel veuille bien que les ennemis s’entretuent…

Evidemment, devant mon agacement il a tenté un retour à ses fondamentaux avec de nouvelles séquences de plateforme. Seulement, il a maladroitement accompagné ce revers d’un élément de pression. Autant dire que lorsque son plus vilain défaut est la lisibilité, une séquence d’adresse à haute vitesse n’est pas la plus judicieuse des options.
Alors que la tension était devenue palpable entre nous et la confrontation inévitable, il a fait comme tous les grands séducteurs d’aujourd’hui: prétextant un besoin urgent, il m’a laissé seul avec un dernier boss singeant tristement Ganondorf et n’est jamais revenu.

Notre rendez-vous a duré quatre petites heures. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas homme à me laisser prendre au piège de la quantité sur la qualité. Seulement, Feist s’est indéniablement comporté comme un goujat. Il a passé deux de ces heures à me faire miroiter ses belles idées novatrices et rafraichissantes pour finalement ne rien en faire et se comporter comme le dernier des imbéciles en s’embourbant dans ses défauts.
Pourtant, la séduction ce n’est pas bien compliqué: il ne s’agit pas d’être parfait mais de savoir capitaliser sur ses forces. Pour cela malheureusement il est indispensable de ne point ignorer ses faiblesses. Une humilité dont mon prétendant obnubilé par son physique était manifestement dépourvu.

Pour lire l’avis de Wuthrer, c’est par ici que ça se passe: FEIST: L’épopée sauvage