The Witness

J’ai fini The Witness. De sa petite fin. J’ai environ 450 puzzles résolus et je continue inlassablement de chercher. Je ne me sens donc pas légitime pour vous parler du sens profond de l’oeuvre de Jonathan Blow. D’autres l’ont déjà fait et je le ferais sûrement moins bien qu’eux. Trop de références m’échappent et je n’ai pas encore eu le courage de remonter à leur source. Je vais donc dédier mon énergie à ce que je sais faire: vous parler du petit coeur mécanique de The Witness.

Au premier abord, on peut se demander si Thekla, le studio créé par Jonathan Blow, ne se fout pas un peu de la gueule du monde. L’île de The Witness n’est pas bien grande: comment expliquer que le jeu ait mis 7 ans à sortir alors que Ubi Soft nous crache une à deux nouvelles villes par année dans Assassin’s Creed. Oh pas que The Witness ne soit pas joli, bien au contraire: c’est sûrement un des plus beaux objets ludiques que j’ai côtoyé depuis longtemps. Non, c’est juste l’interrogation illégitime du « gamer » à deux neurones qui se meurt en moi: pourquoi elle n’est pas plus grande ton île, Jonathan?TheWitness_Ile

Mais parce que ce n’est pas nécessaire jeune débile, me répond-t-il. Pendant 7 ans, on avait autre chose à faire que de compenser la taille de ton pénis. Contrairement à Ubi Soft, nous avions un nouveau jeu à faire. Parce que vois-tu, créer un jeu c’est autrement plus long et plus complexe que répliquer à l’infini les même mécaniques en changeant de décor. L’excellent site uncoindepixel.ch en avait d’ailleurs déjà parlé dans son article sur Zelda Tri Force Heroes. Non, nous à Thekla, on a surtout passé 7 ans à creuser notre mécanique de puzzle. Notre idée de base était simple: tracer une ligne qui relie l’entrée à la sortie d’un labyrinthe. De ça, on a extrait 60h de jeu. Ca calme hein coco?TheWitness_puzzle

En effet. Pour être plus précis, ça fascine. The Witness donne le vertige. On ne peut s’empêcher de se demander ce qu’il en serait si la majorité des jeux creusaient à ce point leurs mécaniques au lieu de brasser du polygone tape-à-l’oeil. Car le tour de force de The Witness est non seulement de prendre un principe simple et de lui trouver plus de 700 applications mais c’est également un travail méticuleux de tri. Je n’ose imaginer le temps qu’a dû prendre le classement de ces énigmes pour donner au jeu une courbe de difficulté si cohérente. Chaque puzzle mène au suivant de façon naturelle. A aucun moment le joueur ne se sent prisonnier d’une situation injuste. Il sait toujours s’il possède tous les éléments pour résoudre le problème qui lui est posé. Bien sûr, on frôle parfois l’agacement, mais c’est le plus souvent pour se rendre compte quelque secondes plus tard que l’on n’avait pas envisagé le problème sous le bon angle et se retrouver projeté par l’enthousiasme dans les pattes de la prochaine énigme.

Parfois pourtant le bloquage persiste: dans ce cas, la structure ouverte de l’île permet de lâcher une problématique pour s’atteler à une autre sans que le jeu ne nous en tienne rigueur. Sachant que les puzzles font appel à un large spectre de compétences, le joueur peut se frayer un chemin jusqu’au dénouement en mettant de côté les systèmes de réflexion ne lui convenant pas. Cette liberté inhabituelle dans un genre traditionnellement très linéaire n’est à mon sens pas anodine. C’est un moyen très malin de créer un véritable duel avec le joueur. En n’acculant jamais le joueur face à un unique puzzle conditionnant la suite de l’aventure, The Witness interdit toute excuse au joueur cherchant les solutions sur le net. On n’est jamais véritablement bloqué, il y a toujours possibilité de passer à autre chose, de s’atteler à une autre problématique, de chercher ailleurs le plaisir de trouver. A tel point que tricher devient un non sens. Non pas parce que l’on est envahi par la culpabilité mais parce que le jeu perd subitement tout intérêt. Car c’est là tout le propos du gameplay de The Witness: le plaisir est dans la recherche de la solution, pas dans la promesse d’une narration dissimulé derrière des obstacles plus ou moins ajustés.

Non, le seul véritable problème avec le petit dernier de Jonathan Blow c’est le dégoût. Lorsque l’on est soi-même un game designer, on se promène sur l’île de puzzle en puzzle et pas une seconde ne se passe sans se dire que l’on est vraiment pas sûr de pouvoir faire au moins à moitié aussi bien avant de mourir.