The Last Guardian

Attention, ça va spoiler. Bisous.

Figurez-vous, j’ai un chat. Ou plus honnêtement : «  un petit chatounet d’amour qu’il est trop mignon » me possède. Côtoyant la bête depuis plus de 10 ans, je suis bien placé pour savoir ce que peut être une relation avec un animal. Autant dire que l’annonce de The Last Guardian avait piqué mon intérêt au-delà de son simple statut de nouveau projet de la Team Ico. Depuis son annonce et durant les 7 années qui ont précédé ce mois de décembre 2016, la seule chose que l’on pouvait dire avec certitude du jeu, c’est qu’il aurait comme cœur de gameplay le lien entre un garçon et Trico, un hybride « chien-chat-griffon ». Dès lors, je me questionnait sur les limites de l’expérience vidéoludique lorsqu’on a déjà celle du réel. Au même titre que les fans de sports d’hiver jugent le réalisme de la glisse dans Steep et que les amateurs de belles-mécaniques testent les sensations de conduite dans Forza, saurais-je être vraiment investi par une « fausse » relation de quelques heures, comme je peux l’être avec mon fidèle félin ? Je ne remettais évidemment pas en cause la capacité du médium à véhiculer des émotions, trop de jeux m’étaient passé entre les mains pour me permettre ce genre de remarques, mais avec un brin de naïveté et une arrogance certaine, il me paraissait être une barrière infranchissable entre la suite de 0 et 1 que représente Trico et le regard perçant du fauve me réclamant ses croquettes. Sans surprise, vous avez sûrement déjà compris que ce salaud de Fumito Ueda a réussi son pari, et m’a fait tomber de mon piédestal de bien-pensance.

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Contrairement à d’autre, je n’ai pas ressenti un surplus de folie meurtrière aux commandes du personnage. Oui, on meurt bêtement. Oui, la caméra est aux fraises. Oui, on répète certaines séquences parce que tout ne fonctionne pas comme on le voudrait. Mais pas de quoi lâcher le jeu en cours de route. J’irai même jusqu’à dire que cette rigidité donne du cachet à The Last Guardian. Comme un doux parfum de nostalgie pour ces productions cabossées d’autrefois qui se rappelle à nous en tombant (encore et toujours) dans les abysses brumeuses. Pour autant alors que je sentais la fin de l’aventure gentiment arriver, je ne pouvais me retenir de penser que ce fameux lien entre moi et la bête ne s’était toujours pas tissé, bien au contraire des ficelles de game design que je pensais avoir mise à nues. La dépendance à l’animal, les caresses pour essuyer le sang, les ordres qui semblent être de mieux en mieux compris,… j’admirais le fondement de ces mécaniques, tout en imaginant que le simple fait que je les décèle en terrasse la magie. Vint alors un tournant.

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Au sommet d’une tour, métaphore d’un certain accomplissement, Ueda profite de notre soudaine félicité pour nous asséner son habituel twist, venant éclaircir un scénario que le joueur avait dû jusque-là dessiné lui-même au travers des bribes distribuées au long de l’histoire. En quelques plans, on apprend n’être que de la pâté pour animaux et que notre amitié avec Trico est contre-nature. Mais j’en avais rien à foutre. Mais vraiment rien. La cinématique finie, la seule qui chose qui comptait pour moi c’était d’aller sauver mon compagnon en train de se faire assaillir par ses semblables. À cet instant, la souffrance de Trico m’était aussi insoutenable que si mon chat se retrouvait lapidé par les gamins du quartier. Je me ruais sur ses agresseurs sans trop savoir comment stopper cette situation, sentant en moi grandir une impuissance qui me mettait de plus en plus mal à l’aise. De longues minutes passèrent avant que je puisse mettre fin à ce massacre et sauver mon Trico adoré. À posteriori, je compris que toutes les étapes par lesquelles la Team ico et Ueda m’avait embarqué n’était que préparation à ce pay-off final. Je me pensais si malin à décortiquer le jeu à mi-chemin alors que lui m’avait déjà cerné depuis le début.

La fin de The Last Guardian me réserva encore d’autres épiphanies quant à son génie tardif, mais je me souviendrais avant tout de ce moment suspendu dans le temps où une chimère numérique m’a paniqué avec une empathie profonde et réelle. A telle point qu’il m’arrive aujourd’hui, d’entrapercevoir un peu de Trico dans le fond des pupilles dilatées de mon chat m’observant avec insistance terré sous le sapin de Noël.