Quand poésie et boucherie partagent une même envie.

Il n’y a pas longtemps, l’actualité vidéo-ludique a été agitée par deux nouvelles ne pouvant au premier abord prétendre à un quelconque mutuel rapport. En effet, toutes deux proviennent bel et bien du même média, mais de ses extrêmités. Explications.


Tout à gauche dans le coin, je vous présente Tale of Tales; Artistes belges aux origines de The Path / Graveyard / et le tout frais Sunset. Artys jusqu’à la moëlle, personnages hauts en couleur, toutes leurs expériences vidéo-ludiques peuvent se targuer de sortir des sentiers battus. Malheureusement, suite aux ventes plus que décevantes de leur dernier jeu, Tale of Tales ont posté sur leur devblog un touchant post-mortem annonçant la probable fin de leurs nobles entreprises.

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Les atypiques productions de Tale of Tales peuvent se targuer d’avoir marqué les joueurs… y ayant joué.


 

Dans le coin à droite, je vous présente Pete Hines, un gentil monsieur de chez Bethesda qui parle souvent des jeux qui s’y font là-bas. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est une partie de son interview accordée à Polygon au sujet du nouveau Doom, dont le trailer a été présenté à l’E3. En effet, on peut y admirer de splendides démonstrations de boucherie perpétrées à grands coups de tronçonneuses. Décapitations sommaires, éclaboussures sanguinolentes qui inondent le sol et les murs; La prolifération de controverses à l’encontre de cette apparente apologie de la violence fut inévitablement peu surprenante. Ce qu’il faut par contre en retenir, c’est la réaction de Pete Hines lorsque les journalistes de Polygon l’interrogèrent par rapport aux plaintes des vierges effarouchées hématophobes. Ce dernier répondit le plus spontanément du monde, d’un haussement d’épaules, l’air visiblement fort peu préoccupé par la question. En gros, mais qu’est-ce que ça peut bien foutre? C’est Doom, c’est l’esprit du jeu. Si ça ne vous plaît pas, n’y jouez pas. C’est tout.

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– Votre démon, vous le prendrez comment?
– Saignant s’il vous plaît.


 

Quel est le rapport avec les artistes belges friands d’expériences poétiques bizarres? Dans leur post-mortem, ceux-ci dévoilent les intentions qui les ont poussés à concevoir Sunset d’une manière différente de ce qu’ils ont eu l’habitude de produire jusqu’ici. Ils ont souhaité élargir leur public, en injectant une part de mainstreamitude dans leur bébé afin que celui-ci puisse être accessible à un plus grand nombre. Que ce soit dans le développement de Sunset ou même jusqu’à sa promotion, Tale of Tales expliquent avoir modifié bon nombre de leurs habitudes, allant même jusqu’à renier l’approche créative extrême qu’ils aiment insuffler à tous leurs jeux. Ils ont suivi les conseils, les analyses, les méthodes de promotion plus traditionnelles et ce dans l’idée de peut-être rentrer « un peu plus dans le rang ». Le résultat ne fut absolument pas probant. Sunset est un échec commercial, dont les dettes qu’il a engendrées risquent même de couler Tale of Tales.

Une liste d'objectifs à remplir, tout sauf banal pour une production de chez Tale of Tales.

Une liste d’objectifs à remplir, tout sauf banal pour une production de chez Tale of Tales.


 

Mais ce que je retiens surtout, c’est leurs derniers propos: Désormais, ils se déclarent libres. Après avoir essayer ce que tant d’autres n’ont cessé de leur rabâcher, ils savent désormais que eux seul avaient raison. Ils auraient dû écouter leurs tripes et faire comme bon leur semblait, comme ils l’ont toujours fait.

Deux histoires différentes, l’une qui n’en est qu’à son balbutiement, et une autre à son dénouement. Deux acteurs aux tonalités et intentions opposées, l’un assumant son défouloir cathartique brutal, l’autre son atmosphère intellectuelle subtile. Mais malgré ces antagonismes radicaux, c’est la convergence cruciale entre les deux qui m’apparaît fascinante: n’en avoir rien à foutre, car…
… Il existe des publics pour tous les types de jeu, il est inutile de chercher à satisfaire tout le monde. Il s’agit là d’une déclaration qui peut apparaître comme évidente, mais elle n’en devient que plus croustillante quand on s’amuse à la remettre dans un contexte pas si éloigné que ça.

Souvenez-vous du gamergate, ce fameux merdier sans nom où journalistes, développeurs et gamers s’entredéchiraient sur la toile pour se prouver les uns aux autres d’avoir raison. Les questions identitaires, les révélations de dossier crasseux sur le monde indépendant et j’en passe, n’eurent de cesse de polluer nos flux d’actualité jusqu’à finalement se noyer dans une incompréhension assez globale. J’exagère? Et bien allez fouiner sur des sites de jeu vidéo spécialisés un tant soit peu futés des rétrospectives sur le gamergate, et faîtes-vous plaisir à avaler les kilotonnes de blabla déblatérés pour l’occasion.

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Attention cependant, le gamergate reste un événement intéressant, et ce au sujet d’une multitude de ses aspects. Mais je tiens à mettre le doigt sur sa concrète inutilité. En effet, là où tant de guerres ont été menées pour essayer de rendre le jeu vidéo meilleur, en revendiquant des statuts, en cherchant à circonscrire des communautés, finalement le constat s’impose de lui-même. Tout est perdu, et heureusement.

Le jeu vidéo est désormais littéralement et pour de bon hors de contrôle, de tous et surtout de lui-même. Plus rien ne peut l’arrêter, et tout le monde y trouvera son compte. Les représentations dégradantes des femmes dans le jeu vidéo vous exècrent et vous font hérisser les poils? Moi aussi, mais il y a tout un pan de la « communauté » qui s’en contrefout et pour qui cela n’a aucune importance. Les jeux mobiles qui n’ont pour seule réussite leurs mécaniques commerciales me dégoûtent, et bien dommage pour moi, car pour tout un autre pan de la « communauté » cela suffit amplement. Jouez à ce que vous voulez, et laissez les autres faire de même.

En un temps record, le jeu vidéo a atteint le même stade qu’une multitude d’autres médias et peut désormais revendiquer un hétéroclisme fascinant capable de trouver écho auprès d’une audience toujours plus large et curieuse. Ce constat s’avère d’autant plus réjouissant que les développeurs eux-mêmes y adhèrent et vont même jusqu’à le prôner.

J’ai bientôt trente ans, et j’ai grandi, certes tardivement, avec le jeu vidéo. Le voir suivre le même chemin que moi m’apparaît comme fascinant alors qu’évident. Souvenons-nous d’antan et remettons en perspective le chemin parcouru jusqu’ici. La progression s’avère spectaculaire. À partir de là, comment ne pas se réjouir de ce qui est à venir?