Ce qu’il y a d’étrange avec thatgamecompany, c’est la façon dont ça s’écrit: tout en minuscule, sans espace. Ca donne une impression de petitesse, renforcée par la signification « cette compagnie de jeu »: une parmi d’autres. Au vu de leurs jeux remplis de personnalité, soit c’est de la fausse modestie, soit ils ne regardent pas autour d’eux. Comme ce lundi d’avril où John Edwards arrive dans un auditoire bondé, le sourire timide et l’humour en bandoulière. Lead programmer du studio, il est venu, selon ses mots, nous parler pendant 60 minutes des idioties faites depuis la création de thatgamecompany. Oubliés les multiples awards et les Game of The Year pour leur 3 jeux, FlOw, Flower et Journey, il est là pour parler en minuscule.
FlOw
Initialement un projet de fin d’études de Jenova Chen, fondateur du studio, à la « Media Interactive Division » de l’Université de Californie du Sud, il sera à l’origine de leur premier contrat commercial avec Sony. Alors qu’au départ leur jeune studio cherchait à vendre Clouds, un autre projet élaboré par Jenova Chen et Kellee Santiago, co-fondatrice, c’est FlOw qui attire l’attention de Sony. La firme leur donne quatre mois pour produire une version améliorée du jeu pour sa fraichement sortie PS3. Seulement voilà, personne au sein du studio n’a jamais travaillé sur PS3 et à cette période Jenova Chen est encore « captif » chez Maxis pour le développement de Spore. Il se lance malgré tout à corps perdu dans la production pour tenir les délais. Le miracle n’aura pas lieu: le jeu se retrouvera en vente avec 3 mois de retard et amputé de nombreuses fonctionnalités. De nombreux types d’ennemis ne seront jamais implémentés et surtout le mode multijoueurs s’est avéré impossible à intégrer. De plus, de mauvais choix dans la programmation du moteur font chuter le frame rate à moins de 30 images secondes dès l’apparition d’un deuxième joueur. Ce qui n’est pas si grave, soulignera John Edwards d’un haussement d’épaules: au vu du succès critique et commercial du jeu, personne n’a dû vraiment s’en rendre compte.
Flower
Prolongement du travail entamé avec FlOw et aujourd’hui marque de fabrique du studio, Flower marque le début d’une exploration de la palette d’émotions vidéoludiques. Direction prise par Jenova Chen et Kellee Santiago suite à leurs études dans une école englobant différents médias interactifs. C’est en comparant le jeu aux autres médias que la palette restreinte usée jusque-là a provoqué l’envie d’aller chercher des moyens d’élargir ce champ. Pour Flower, l’inspiration sera puisée dans le contraste qu’a connu Jenova jeune, lors de son émigration de Shanghai à la campagne californienne. Sous contrat avec Sony, le studio passera deux ans et 75% de son budget alloué à Flower à faire de la recherche et du développement, et le reste du temps à courir pour terminer le jeu. Avec un document de design de base constitué de 56 fleurs, de nombreux essais ont été nécessaires avant de trouver un moyen de retranscrire la vision d’un paysage en fleurs perçue à travers les yeux d’un citadin. C’est l’idée de modéliser chaque brin d’herbe en 3D qui sera le déclencheur du jeu que l’on connait aujourd’hui. Important point techniquement « shiny », selon les mots de John Edwards, présent dans toutes leurs productions: FlOw a été le premier jeu à user d’un effet de « glow » sur un moteur Flash, Flower a eu justement son herbe modélisée grain à grain et Journey son rendu sablonneux coulant.
Journey
Créativement, Journey est lui né d’une frustration face à World Of Warcraft. Jenova Chen, gros joueur du MMO de Blizzard, se sentait terriblement frustré par le type de relation qui s’établissait entre joueurs: il ne se remarquaient pas. Leurs interactions étaient limitées au combat coopératif ou les uns contre les autres. Il souhaitait avec son prochain jeu faire un MMO forçant les joueurs à construire des interactions différentes, les amener à s’entraider par envie et non pour remplir des objectifs. Pour ça, il a fallu réduire les récompenses et mettre le joueur en danger, qu’il se sente insignifiant contrairement aux expériences classiques de jeu vidéo. Il a donc choisi un décor désertique et des monstres invincibles. Ainsi, l’autre joueur est devenu le seul point d’accroche, une présence indispensable pour faire face au vide et à l’adversité. Le rythme du jeu a aussi été une préoccupation importante. Comme dans Flower, il fallait que le game design transmette une rythmique émotive. Le jeu a été énormément travaillé pour offrir un déroulement optimum. Le dernier tronçon du jeu, l’ascension de la montagne, a d’ailleurs fait l’objet d’un an d’équilibrage. Par exemple, le gel progressif du joueur avant sa mort est passé de 15 min à 2 min dans le jeu final et de nombreuses animations spécifiques ont été ajoutée à ce passage, comme la glace sur les habits et un cri plus étouffé. L’autre grand challenge de cette fin a été la renaissance et l’ascension finale. Il a été extrêmement difficile de garder une connexion avec le gameplay, de ne pas transformer la séquence en passage vaguement interactif. L’équipe a su qu’elle avait finalement atteint son but lorsque trois beta-testeurs sur 25 ont fini par verser des larmes en terminant le jeu.
C’est ce qui définira d’ailleurs le ton de cette conférence: l’émotion à travers le gameplay. thatgamecompany souhaite trouver comment transmettre de l’émotion à travers des mécaniques de jeu, mais sans jamais tomber dans la facilité dont certains se sont fait spécialistes, consistant à réduire le gameplay en copiant les effets du cinéma. Pour eux, comme l’a dit John Edwards, cela reviendrait à perdre la raison principale de faire du jeu vidéo: défricher les frontières d’un nouveau langage.