Game Design Theory

Ca me grattait depuis quelques années. Comme une piqûre de moustique pas bien localisée au réveil: ça démange, certes, mais où?

Aujourd’hui, j’ai lu Game Design Theory et j’ai trouvé le bouton purulent qui m’irrite depuis tant de temps.

Prenons un jeu récent. GTA V au hasard. Je n’y ai pas joué mais peu importe. L’important n’est pas le jeu mais la façon de le critiquer. Reproduction d’un dialogue/test lambda à propos du jeu:

  • Rhoooo c’est bien GTA V.
  • Oh oui alors. T’as vu comment c’est joli!
  • Ca oui et pis c’est grand aussi! Tu peux te promener et faire plein de trucs: du tennis, de la chute libre, du golf. Fiou c’est super rigolo.
  • T’as vu qu’ils ont amélioré la conduite des véhicules? Et la police, elle est devenue plus forte.
  • Oublie pas que c’est suuuuuuper bien écrit. Y sont vraiment trop forts chez Rockstar pour créer des personnages charismatiques.
  • Surtout que maintenant il y en a trois! Vraiment leur histoire croisée est bien racontée. Avec une mise en scène digne des plus grands films.
  • Oui mais bon t’as entendu le débat sur la scène de torture?
  • Oh moi je trouve que c’est pas un problème. Rockstar est connu pour sa critique acerbe de la société. Tout le monde en prend pour son grade. C’est pour donner au joueur à réfléchir.

Tout ça n’est de loin pas faux. C’est même plutôt intéressant. Seulement, cela me donne un peu l’impression d’un critique gastronomique donnant son avis uniquement sur la tenue de la salle, la sympathie du service, la présentation des aliments et le confort de sa chaise.

  • Ah, tu veux en savoir plus sur les nouveaux trucs qu’on peut faire?
  • C’est un début, mais ne t’arrête pas là comme un con les bras ballants et le sourire aux lèvres. Je veux connaître la pertinence de ces nouvelles possibilités dans le système de jeu global. Je m’en fous moi qu’il y ait du golf et de la chute libre si c’est pour le faire une fois et me rendre compte que ça ne sert à rien. Que ça n’a aucune incidence sur le reste. Explique-moi quelle place ces activités tiennent dans la dynamique globale. Est-ce déterminant pour l’immersion? Un élément de gameplay en symbiose avec le reste? Inutile? Peu importe mais dis-le. Juge ça avant de me dire que c’est joli ou que c’est grand. Pourquoi c’est grand d’ailleurs? Quel rôle joue la taille du monde? Posez-vous ces foutues questions, bon Dieu!

Et si à la place de s’inspirer des Cahiers du Cinéma comme le voudrait ce grand penseur moderne de David Cage, on allait faire un tour sur TricTrac.net? Après tout, eux aussi parlent de jeux mais manifestement ils ne parlent pas des leurs comme on parle des nôtres:

Notation TricTrac.net

Chez nous, on est obsédé par la dernière catégorie (Thèmes) et l’on parle des deux précédentes un peu dans tous les sens, au petit bonheur la chance. Je pense que pour la plupart, nous ne sommes même pas conscients de l’importance de ces éléments. On se contente de regarder nos jeux en surface, à travers le prisme de ce thème si envahissant. Pourtant, manette en main c’est bien tout le reste qui se fait sentir. Pour en revenir à la cuisine: arrêtons de privilégier la qualité du glaçage au gâteau lui-même.

Keith Burgun, l’auteur de Game Design Theory, ne fait pas l’unanimité. Je suis moi-même sceptique quant à plusieurs de ses affirmations. Par contre, il est impossible de ne pas lui reconnaître un talent certain au jet de pavé dans la mare. Il affirme clairement ses convictions et n’hésite pas à argumenter un vrai parti pris dans sa vision du game design.

En ces temps de Beyond où de prétendus game designers se pavanent avec le tout Hollywood, humiliant à coups de «pan pan boum boum» l’entier de la profession, la prose de Monsieur Burgun a le mérite de remettre le gameplay au milieu du village.

Merci à lui.

Game Design Theory   Extra Credits