Chez un coin de Pixel, il arrive fréquemment qu’on ne soit pas d’accord avec le reste du monde. Il nous arrive même de pousser cette manie jusqu’à l’interne. Ce fut le cas pour Feist qui du coup se voit décortiquer au travers de deux perspectives différentes présentées en deux articles. Faîtes vos choix, rien ne vas plus.
Ah, la forêt; Un havre paisible, propice à des moments revigorants, bien loin des superficialités vrombissantes de la ville. Rien de tel qu’un petit jogging dans les bois pour décrasser de tous les excès de la vie urbaine, autant ses parois pulmonaires que celles de sa boîte crânienne. Évidement, c’est le genre de beau discours qui ne peut être tenu que par ceux qui n’y ont jamais mis les pieds. Les tiques, les troupeaux de naturistes esseulés, les chiens affamés qui ne sont pas tenus en laisse, pour toutes ces raisons et bien d’autres, la vie dans les bois n’est pas une chose aisée. Feist illustre d’ailleurs très bien cette réalité: s’il existe une dure loi de la jungle, celle de la forêt n’est pas tendre non plus.
Même si Feist peut évoquer Limbo dans l’approche de son graphisme découpé en silhouettes obscures, la comparaison entre dans les deux titres est tolérable seulement au niveau visuel. En effet, la bestiole que nous incarnons n’est pas du genre à résoudre des puzzles et encore moins à subir pacifiquement l’hostilité de son monde. Au contraire, il faudra user des moyens de la lisière pour se débarrasser des créatures qui se mettront au travers de notre route. Rapidement, Feist devient un plateformer qui requiéra de bonnes prises de décisions dans le vif de l’action. Mais soyez cependant avertis, car cela ne suffira pas toujours. C’est d’ailleurs en ce point crucial que Feist se révèle être une expérience de jeu rafraîchissante et intéressante.
Le monde de Feist n’est pas taillé à la hache. En nombreux de ses endroits, il oscille entre level design flagrant et promenade un peu aléatoire avec des éléments de gameplay qui traînent dedans. Dans le deuxième cas de figure, c’est comme s’il n’existait pas de manière dite « juste » de passer outre les obstacles. À la différence de puzzle games ou plateformers plus « scolaires » où deviner les solutions pensées en amont par les développeurs constituent souvent le coeur du jeu, le monde de Feist donne l’impression d’être plus malléable. Ainsi, le joueur se retrouve parfois à expérimenter un peu au pif des solutions ou comportements sans pouvoir être réellement sûr de ce qu’il en résultera. Des fois ça passe, des fois pas. Il y a autant de bonnes que de mauvaises surprises. Cette dynamique particulière n’est pas le résultat d’un level/game design maladroit, bien au contraire, il contribue très fortement à ce qui fait tout le charme du jeu.
À vrai dire, une multiplicité des aspects du jeu alimente ce ressenti un peu chaotique. Que ça soit dans la portée des sauts de notre avatar, dans la physique de certaines plateformes, dans les patterns de certains ennemis, dans l’absence flagrante de tutoriel, dans l’inconsistance à la manière de déjouer certains pièges, dans la pauvreté des feedbacks, un flou artistique assumé enrobe l’aventure. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette constance permet d’aborder l’aventure d’une manière très agréable, si on se donne le loisir d’y céder.
Pour mieux comprendre, il suffit de comparer Feist à d’autres productions plus traditionnelles. La plupart du temps, on truffe les niveaux de power-ups à récolter, de secrets, de timers à défoncer, de scores à battre, etc… En gros, pour le joueur expérimenté mais peu doué que je suis, il y a toujours un moyen de me rappeler que je suis en partie médiocre ou que je passe à côté de quelque chose. Dans Feist, on s’en fout complètement. Il n’y a aucun de ses éléments qui pourraient signifier au joueur un dirigisme le poussant à la performance. La seule chose qui compte, l’objectif implicite qui demeure absolu tout au long du jeu, c’est d’aller tout à droite du niveau, jusqu’à son bout. Du moment qu’on y parvient, c’est réussi. C’est un sentiment extrêmement agréable que de sauter par-dessus de multiples rochers qui s’écroulent, un peu au petit bonheur la chance, et de parvenir néanmoins à s’en sortir in extremis. Ces aspérités dans le game design contribuent à réduire de juste ce qu’il faut la lisibilité pour permettre une expérience de jeu moins carrée, moins prévisible, au final, plus humaine.
Cependant, Feist n’est pas exempt de défauts. Certains passages risquent de vous donner beaucoup de fil à retordre, tant l’aléatoire de certaines de ses mécaniques peuvent s’acharner contre vous. Quant à la pseudo narration du jeu constituée de cut-scenes insipides, elle fait vraiment office de cache-misère. Impossible par contre de ne pas saluer la bande-son de qualité qui saura ponctuer à merveille bon nombre de vos combats épiques.
J’ai vécu Feist comme une expérience atypique, une bouffée d’air frais où j’ai eu la chance de m’amuser en dehors de sentiers parfois trop battus. Certes, la cruauté parfois injuste de la forêt n’a pas manqué de me mettre des bâtons dans les pattes, mais c’est aussi ce qui a fait tout le charme de son caractère sauvage.
Pour lire l’autre avis de Sandro, c’est par là: FEIST le séducteur en formation.