Detroit: Become Human

Le 19 novembre 2013, j’écrivais mon premier article pour uncoindePixel Tartine Mécanique, à propos d’un certain Beyond: Two Souls. Un exercice de style on ne peut plus maladroit que j’ai récemment relu, comme l’on revoit ses photos d’adolescence ou écoute sa propre voix, avec une bonne dose d’effarement. À l’époque, et comme beaucoup de médias spécialisés l’on fait avec les productions de chez Quantic Dream, je m’acharnais sur les errances d’une écriture qui a vite eu fait de plomber toute tentative de rendre intéressant un scénario convenu de série B. Je me rends compte aujourd’hui que de critiquer purement l’aspect narratif des œuvres de David Cage, c’est déjà manger un petit peu dans la main de ses ambitions cinématographiques. Or, si la nature rachitique de son gameplay a tôt fait de refroidir toute tentative d’analyse, c’est bien sous cette angle que j’ai envie de vous parler de leur dernier né: Detroit: Become Human. Spécifiquement, j’aimerai vous détailler deux scènettes qui m’ont particulièrement marquées. Une de par sa réussite. Et l’autre pour m’avoir fait réaliser le problème majeur du game design « à la Quantic » (voir « à la Cage » si vous adhérez à la « politique des auteurs »).

Commençons donc par le positif. Au contrôle de l’androïde Kara, je veillais sur une petite fille secourue d’un père abusif et me retrouvais dans un grand manoir a l’air abandonné. Un charmant homme m’accueillit alors, proposant même gentiment de me faire visiter sa cave et Ô surprise… les choses tournèrent mal. J’avais désormais dix minutes très exactement pour fouiller le premier étage afin de retrouver ma protégée. Durant ce laps de temps, et de par l’ingéniosité du level design, je visitais une à une toutes les pièces, repérant au passage quelques points d’interaction qui me semblait alors être d’aucune utilité. Arrivé dans la dernière salle, à l’opposée de l’escalier et d’une issue salvatrice, je mettais enfin le doigt sur la petite Alice. C’est à ce moment-là que l’antagoniste de ce chapitre se décidait à nous chercher activement à son tour. Commença alors une séance de QTEs et de micro-décisions qui allait me laisser haletant. Fort de ma connaissance du lieu, acquise en cherchant la gamine, j’arrivais à anticiper le meilleur chemin pour éviter l’homme dont j’apercevais déjà l’ombre menaçante à la droite de mon écran. De pièce en pièce, je me souvins également des éléments d’interaction croisés un peu plus tôt, qui me permettaient désormais de mieux piéger mon assaillant et de finir par me sortir de ce guet-apens. Une scène dont l’intensité n’avait d’équivalent que la claustrophobie, comme le savent si bien le faire les jeux d’horreur et leur penchant pour les lieux clos et étroits.

Quelques chapitres plus loin, je me retrouvais cette fois-ci aux commandes de l’androïde Markus, en train de voler des marchandises avec sa troupe de complice, au beau milieu d’un entrepôt. Soudain surgit un garde, robotique lui aussi. Puis un autre débarqua à nouveau, humain, qui ne nous avait juste pas encore vu. Trois choix se proposèrent alors à nous:

1/ tuer l’humain.

2/ s’enfuir.

3/attraper le garde robot et se cacher.

Dans le vif du moment, considérant que nous avions déjà mis la main sur ce que nous étions venu chercher, je décidais de m’enfuir. Mal m’en pris. Si nous arrivâmes bien à nous échapper sans embûche, mes amis désapprouvaient totalement ma décision et de surcroît nous n’avions en réalité pas pris assez de fournitures. À cause de cela une partie du groupe allait « mourir », au même titre que ma réputation auprès de mes pairs, comme me le faisait si bien comprendre la grosse flèche rouge s’affichant sur l’écran. Furieux qu’un choix si anodin, partant d’une bonne intention, se retourne contre moi de la sorte, je recommençais le chapitre immédiatement pour prendre la « bonne » décision.

Vint alors le déclic. Celui qui me fit comprendre mon rejet pour les jeux estampillés « David Cage ». La cause principale de ma frustration n’était évidemment pas que mes amis robots ne m’aiment plus (on sait tous à quel point nos décisions ont peu d’influence sur la trame générale de l’histoire), mais bien de ne pas avoir pu anticiper les conséquences de mon choix. Ce qui est somme toute logique, car ces décisions sont faîtes pour être ambiguës, nous mettre dans l’embarras. Et puis, dans la vrai vie non plus nous ne savons pas à l’avance comment les gens réagissent à nos actions. Il semble donc normal d’intégrer ce genre de schéma si vous êtes en quête de réalisme. Mais voilà, Detroit: Become Human est bel et bien un jeu vidéo. Dès lors, l’intégration de choix aux répercussions inconnues, bafoue pour moi un principe essentiel à mon plaisir ludique: pouvoir faire mes décisions en toute connaissance de causes. Casser une porte fermée dans Dead Cells pour récupérer le bonus qui s’y cache, en sachant qu’un malus m’attend, ça c’est un choix. Tester toutes les options avant d’attaquer dans Into the Breach l’est également. Mais le processus de décision chez Quantic Dream équivaut au mieux à un lancer de dès à l’aveugle, où les chances de tomber sur chaque face seraient inconnues et où l’on n’aurait aucune idée du résultat que l’on souhaite obtenir. À posteriori, je comprenais donc pourquoi la première scènette marchait si bien. J’avais toutes les informations en main pour sélectionner la meilleure option de fuite. C’est aussi simple que ça.

On a souvent fait un procès d’intention à Cage pour ses QTEs qui « sont pas du vrai jeu d’abord ». Pourtant, dans chacune de ses productions se cachent toujours un ou deux chapitres où ses ambitions narratives se mêlent à la perfection avec les outils ludiques qu’il nous laisse à disposition. Dans ces moments de grâce, il parvient allègrement à partager avec nous les émotions qu’il veut tant mettre en avant. Dommage pour les 20 autres chapitres.

Cinq ans après avoir jeté l’opprobre sur Beyond: Two Souls et autant d’années à avoir été sensibilisé à la place du game design dans les jeux vidéo, je n’aime toujours pas ce bon vieux David. Mais je comprends beaucoup mieux pourquoi.